La Marginale

Ce film, c’est un road movie avec deux personnages handicapés par la vie. Corinne Masiero joue Michelle, une SDF vivant à l’aéroport d’Orly, et Vincent Chalembert joue Théo, un jeune autiste, balayeur à l’aéroport.

Photogramme


Le choix du format s’est imposé comme une évidence : le Scope. En termes de cadre, c’était le plus logique pour les nombreux plans à deux en intérieur voiture. Je ne voulais pas récupérer une part trop importante du capot ni trop d’air au-dessus du toit. Et comme on ne pouvait avoir qu’une demi-journée de voiture travelling, il fallait tricher et faire les intérieurs voiture en studio, et je voulais absolument éviter de faire trop de fond vert. De plus, même si la voiture est un personnage du film, je voulais qu’une fois à l’intérieur, on se focalise sur Michelle et Théo.
De plus, l’intérêt de tourner les intérieurs voiture en studio était un confort évident pour les acteurs. Cela permettait notamment à Vincent Chalembert de se concentrer uniquement sur son jeu, et au réalisateur, Frank Cimière, de rester tout à côté de lui.


Le Scope me permettait aussi de jouer avec le décadrage. En lisant le scénario, il m’a paru là aussi évident que ces personnages à la marge de la société devaient être filmés de manière légèrement différente. Ils sont décadrés au début et vont être cadrés progressivement de manière plus classique au fur à mesure de leur progression intérieure.
Et pour le personnage de Corinne qui est particulièrement solitaire, s’ajoutait le fait de la cadrer seule, de l’isoler et de faire entrer les amorces et les autres personnages dans son cadre en même temps qu’elle retrouve le goût de la vie et des échanges avec les autres.
Enfin, je souhaitais tourner en vrai Scope, là encore, pour aller avec les personnages : bénéficier des "défauts" du Scope : les déformations. Et je voulais pouvoir accentuer les flous sur le personnage de Corinne.

Photogramme


La série anamorphique que je souhaitais n’étant plus disponible, je ne remercierai jamais assez Frédéric Valay de TSF qui, au débotté, m’a trouvé une série que je ne connaissais pas : les Orion Atlas, objectifs certes modernes mais avec les défauts que je recherchais. Ils matchaient parfaitement avec l’Alexa Mini.
Je n’ai pas poussé le vice jusqu’à les prendre à pleine ouverture, au grand dam de mon assistant Yann Goiran qui adore les défis, mais c’était inutile pour ce film et j’aime bien éclairer quand il le faut (J’étais très rarement en dessous de 5.6, y compris pour les nuits).
De plus, je voulais nous garder une petite sécurité pour le point au cas où, car il était hors de question de mettre des marques à Vincent pour ne pas le déconcentrer.
Corinne Masiero est une actrice très précise, elle aime la technique et respecte les marques au centimètre près. Et comme je voulais faire un travail de composition de cadre particulier, placer Corinne me permettait d’y arriver.
D’ailleurs à propos de Corinne, pour une scène en particulier, elle m’a demandé quelques semaines avant si je pouvais la suivre "caméra épaule" parce qu’elle ne savait pas encore comment elle allait la jouer et pensait que si elle la réussissait, elle ne pourrait pas la refaire. Ce plan étant de toute façon prévu à l’épaule, ce n’était évidemment pas un problème.
Inutile de dire que sa scène était fantastique et qu’en plus elle l’a rejouée avec la même intensité au moment de donner la réplique à Vincent.
Je me permets un petit aparté sur le travail avec Corinne qui en plus d’être d’une grande générosité avec ses partenaires est aussi d’une grande bienveillance avec les techniciens : Frank et moi, nous désirions faire des très gros plans de Corinne dès le début du film dans l’aéroport, alors que son personnage est dans le pire des états. Je trouvais ces gros plans très beaux mais Corinne a senti que ça s’inquiétait au-dessus de nous. Discrètement, elle est donc allée au combo et a demandé à revoir une prise, ce qu’elle ne fait jamais (et d’ailleurs je pense qu’elle ne l’a pas vraiment regardé non plus cette fois-ci) et elle est revenue en me félicitant parce qu’elle trouvait le plan magnifique. On n’en a pas reparlé par la suite, mais si jamais elle lit l’article je la remercie pour cet appui si précieux pour un "jeune" chef op.

Photogramme


C’est le deuxième film que je fais avec Frank et j’ai la chance qu’il me fasse totalement confiance pour les cadres et qu’on soit sur la même longueur d’ondes pour l’atmosphère visuelle de ses films. Il faut dire que ses scénarios sont très précis et les images viennent d’elles-mêmes à la lecture.

En termes de lumière, Frank le réalisateur voulait qu’on parte d’une atmosphère très monochrome avec juste une petite touche de couleur présente dans l’image (généralement le rouge) et qu’on aille progressivement vers la couleur, pour la perdre à nouveau et enfin la retrouver.
Pour cela on a travaillé sur le tournage avec le génial chef décorateur Benoit Pfauwadel et son équipe, qui se sont appliqués à retirer toutes les couleurs qui nous gênaient.

Photogramme


En lumières, même si j’ai utilisé des sources très différentes suivant les besoins, j’ai toujours comme base les SL1 mix de Rosco DMG, j’apprécie leur côté polyvalent, leur qualité de lumière et leur légèreté. Sur ce film, j’ai utilisé aussi leur petit dernier : le "Dash" que l’on retrouve même comme lampe de jeu dans un des hôtels visités par les personnages.
Sur ce film, même si l’image était peu naturelle avec cette suppression des couleurs, il était important pour moi que la lumière, elle, paraisse naturelle. C’était particulièrement difficile pour le hall des arrivées de l’aéroport et pour le couloir où vit Michelle (recréé lui dans un couloir de la Défense Arena).
Pour le hall des arrivées, mon chef électro Oscar Viguier et son équipe ont occulté les immenses verrières qui étaient au plafond avec de grandes toiles de spi, et on faisait bouncer tout ce qu’on pouvait dessus pour récupérer le niveau nécessaire. D’ailleurs en plus de sa constante énergie, je voulais le remercier lui et son équipe pour leur patience avec moi : je ne peux pas m’empêcher quand j’ai le temps de toucher, régler les projecteurs moi-même et je connais plus d’un chef électro que ça agacerait (à juste titre).

Matthieu-David Cournot à a caméra


Avec Christophe Bousquet, mon étalonneur, on est parti sur deux LUT ENR : une pour l’histoire principale, très désaturée, et une pour la partie flashback, saturée. Ces LUT ENR nous donnaient des rendus très intéressants pour les carnations, mais évidemment me laissaient moins de marge de manœuvre au tournage, et surtout cela a engendré un problème que l’on n’avait pas anticipé : les lumières bleues des effets gyrophares vrillaient complètement. Grâce à la bienveillance de Susana Antunes, la directrice de postproduction et de M141, nous avons pu facilement rattraper cela.
D’ailleurs j’en profite pour féliciter Christophe qui a fait un travail formidable, notamment pour rattraper les fautes de raccords des séquences autour du lac. Ces jours-là c’était un festival de fausses teintes et malheureusement pour moi, les prises choisies pour le jeu n’étaient pas souvent celles qui raccordaient.

Dès la préparation du film, j’avais comme idée pour l’étalonnage de passer dans un plan de la deuxième LUT à la première, puis pour dans autre plan à la fin du film, de la première LUT à la deuxième. Je ne voulais pas que cela soit visible mais que cela accompagne subtilement le jeu de Corinne. Et je suis particulièrement heureux de voir que ça fonctionne très bien.

Photogramme


Ce tournage a été une sacrée aventure, parfois très dure pour tout un tas de raisons, et j’aimerais profiter de cet article pour remercier Frank Cimière pour sa confiance totale, tous les acteurs pour leur bienveillance et leur talent, l’ingénieur du son Loïc Pommiès avec qui j’adore travailler. (Et j’ai une pensée pour son perchman Stéphane Ledall malheureusement disparu il y a quelques semaines) et évidemment mes équipes.
J’ai aussi eu la chance d’avoir une équipe machinerie au top, avec Julien Buffard et Yannick Freess, entre les travellings particulièrement longs et les installations que je souhaitais, je ne pouvais pas être mieux entouré.
L’équipe électro déjà citée, mais ils méritent de l’être à nouveau : Oscar Viguier, Thibault Maillard, plus tous les renforts.
Mon équipe caméra : Yann Goiran qui, en plus d’être très fort, est aussi d’un calme olympien, Nicolas Gascuel qui le complète parfaitement, Tiffany Sudre avec qui je sais que les rushes seront en de bonnes mains, même quand elle est obligée de faire les back-up dans un local qui prend l’eau, et Scarlett Lages qui a géré le combo malgré les pressions.

Matthieu-David Cournot à la caméra


Bande-annonce officielle


https://youtu.be/bj81-1CI6PE

Portfolio

Équipe

Premier assistant caméra : Yann Goiran
Second assistant caméra : Nicolas Gascuel
Data manager : Tiffany Sudre
Étalonneur : Christophe Bousquet
Chef électricien : Oscar Viguier
Électriciens : Thibault Maillard, Étienne Hubert, Lucas Bion, Sergio Pulido.
Chef machiniste : Julien Buffard
Machiniste : Yannick Freess

Technique

Matériel caméra : TSF Caméra (Arri Alexa Mini, optiques anamorphiques Orion Atlas)
Matériel lumière : TSF Lumière
Matériel machinerie : TSF Grip
Laboratoire postproduction : M141

synopsis

Michèle, la cinquantaine, est SDF et vit à l’aéroport d’Orly où elle mène une existence dure et solitaire. Théo, jeune homme atteint de handicap mental, travaille à l’aéroport et vit chez sa "Tatie" qui le surprotège depuis qu’il a été abandonné par sa mère. Lorsque Michèle décide de retrouver son fils à Lisbonne, Théo accepte naïvement de la conduire là-bas, mais ce qu’elle ne sait pas c’est qu’il n’a qu’une voiture sans permis... Ils embarquent alors dans une aventure sur les routes départementales, nous faisant suivre des gens que l’on ne regarde pas, sur des routes qu’on n’emprunte jamais.