La directrice de la photographie Jordane Chouzenoux parle de son travail sur "Mercuriales", de Virgil Vernier

Jordane Chouzenoux, sortie de l’école Louis-Lumière en 2003, débute sa carrière de directrice de la photographie sur plusieurs courts métrages puis éclaire le premier film de Marianne Tardieu, Qui vive. Virgil Vernier est documentariste et se fait remarquer dès sa première fiction, Orléans, un moyen métrage de 58 minutes sorti en salles en 2013. Après avoir apprécié le travail de Jordane Chouzenoux sur Snow Canon, court métrage de Mati Diop tourné en 16 mm, il lui propose une première collaboration sur son documentaire Andorre qu’il veut tourner sur ce support. Quelques mois plus tard, ils tournent ensemble le premier long métrage de Virgil, Mercuriales, projeté à la section parallèle de l’ACID à Cannes. Le travail – très différent – de Jordane Chouzenoux sur ses deux premiers longs métrages en tant que directrice de la photo, Qui vive et Mercuriales, est donc visible aux projections de l’ACID cette année à Cannes…

Synopsis : Lisa et Joanne se rencontrent là, dans l’ombre des tours Mercuriales. Elles ont vingt ans, et cherchent encore la vie qu’elles veulent vivre.

Quelle est la raison du 16 mm pour ce premier film de Virgil Vernier ?

JC : Virgil avait envie d’une image organique, pas trop " propre ", avec une définition différente de ce que l’on voit aujourd’hui sur les écrans. On a utilisé plusieurs filtres diffusants à la prise de vues, notamment les Hollywood Star, une série assez vieillotte dont le tramage crée des étoiles dans les brillances.

Comment la préparation s’est-elle passée ?

JC : Les références de Virgil tournaient autour des films de Philippe Garrel, de Werner Shroeter ou de vieux films de Cronenberg. Il a une idée très précise du cadre, mais pour la lumière, ses intentions étaient plus floues ! Nous avons donc testé des choses très différentes avec les comédiennes avant le tournage, dans un décor qui pouvait s’apparenter à l’un de ceux du film. Il reste d’ailleurs quelques plans tournés aux essais dans le montage !
Le vocabulaire est plus abstrait pour évoquer la lumière, surtout quand rien n’existe dans les lieux où l’on tourne, ce qui était souvent notre cas, et que tout est à inventer. Les essais nourrissent la réflexion et permettent de préciser ses envies.

Quelles étaient ces demandes précises de cadres ?

JC : Mercuriales est un film très libre, qui se soucie peu des raccords et se situe entre la fiction, le documentaire et la poésie. Il est filmé assez frontalement, avec beaucoup de raccords dans l’axe et de soin dans la composition. Du coup, on retrouve quelques séquences montées en " jump cut ", pas dans un souci de stylisation mais souvent pour prendre le meilleur de chaque prise et installer le temps de la séquence. Nous n’avons tourné aucun champ contre-champ. Et si, pour une séquence, les personnages sont autour d’une table, on s’arrange pour qu’aucun d’entre eux ne nous tourne le dos et ça marche très bien. Pour Virgil, le rythme des mouvements de caméra est aussi très important : on est plutôt dans " l’anti-agitation " !

Comment as-tu créé l’univers visuel de ce film peu convenu ?

JC : L’esthétisme du film va plutôt à l’encontre des canons de beauté actuelle. C’est une image anachronique, avec une douceur en partie due à la filtration, une profondeur de champ parfois fragile, une texture et un rendu naturel des couleurs liés au 16 mm. En dehors des extérieurs estivaux, plusieurs décors invitaient à jouer avec les couleurs, comme la boite de nuit ou les ordinateurs en veille qui sommeillent dans les tours de Bagnolet et génèrent un crépitement de lumière un peu futuriste. On a utilisé pas mal de gélatines pour colorer certaines séquences de nuit, notamment une chambre en rose et bleue et une autre un peu " abricot "… La pellicule fournit une richesse de rendu de couleurs vraiment inégalée !

Quelle chaine de postproduction avez-vous choisie ?

JC : Le développement et le télécinéma HD ont eu lieu chez Digimage d’où nous avons récupéré les fichiers " flat " définitifs. Pour les rushes et le montage, on y a appliqué une LUT que l’on avait élaboré chez M141. Pour l’étalonnage, on a travaillé principalement avec deux pré-réglages dont cette LUT. Christophe Bousquet, dont la carrière argentique est importante, a apporté un regard neuf, précieux pour le film. Le rendu est un tout petit moins défini qu’avec un scan, mais aussi un peu plus doux. J’avais déjà expérimenté cette chaine moitié argentique, moitié numérique sur Andorre, le court métrage sur lequel j’ai rencontré Virgil.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)