Le directeur de la photographie Julien Hirsch, AFC, parle de "Cleveland Vs. Wall Steet", un documentaire de Jean-Stéphane Bron

En sélection de la Quinzaine des Réalisateurs 2010

par Julien Hirsch

Après une formation à Louis-Lumière, Julien Hirsch assiste Caroline Champetier sur les films de Téchiné, Doillon, Jacquot… Il signe son premier long métrage à la lumière, en collaboration avec Christophe Pollock, avec Jean-Luc Godard pour Éloge de l’amour en 2001, puis travaille avec Laurence Ferreira-Barbosa, André Téchiné, Benoît Jacquot, Pascal Ferran… Il remporte le César de la meilleure photographie pour Lady Chatterley de Pascale Ferran en 2007.
Jean-Stéphane Bron, documentariste suisse, réalise La ßonne conduite et Le Génie helvétique, puis une fiction en 2006 Mon frère se marie. Son long métrage documentaire Cleveland Vs. Wall Steet est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs.
Julien étant en tournage à Venise pour le prochain film d’André Téchiné, l’entretien avec lui n’a pas pu avoir lieu et s’est soldé par des échanges électroniques et le texte à suivre…

À notre premier rendez-vous, Jean-Stéphane Bron m’a raconté une histoire extraordinaire. Depuis deux ans, ce documentariste suisse filmait de l’intérieur la préparation du procès intenté par la ville de Cleveland contre 21 grandes banques internationales, rencontrant les avocats, le maire, le juge et les témoins. Les banques étaient accusées d’avoir ruiné la ville en convainquant les habitants des quartiers pauvres de faire des emprunts à des taux ahurissants (les fameuses " subprimes "), les mettant à court terme à la rue par milliers. Malheureusement la plainte a été finalement rejetée : le procès n’a donc pas eu lieu ou plutôt, le procès n’aurait pas dû exister.
Jean-Stéphane décide alors de réunir dans le tribunal de Cleveland tous les protagonistes de cette affaire afin que le procès ait lieu avec le vrai juge, les vrais avocats, les vrais témoins et, ainsi, le film rendrait compte de la catastrophe humaine des subprimes " uniquement à travers ce procès.

Mon rôle a été de filmer ce procès afin de faire comprendre les enjeux et les conséquences dramatiques pour la ville et pour une grande partie de ses habitants.
Le tournage a duré quatre semaines et, bien que l’organisation logistique ait été celle d’une fiction, le procès, lui, se déroulait au gré des interventions du juge et des avocats. Dans l’enceinte du tribunal, nous étions donc en situation de documentaire et cela jusqu’à la délibération finale du jury.
Tourné avec deux Sony EX3 munis de leur zoom d’origine, ce film a demandé une complicité de tous les instants entre Jean-Stéphane et moi afin de décider quand arrêter les débats pour changer la place des deux caméras en fonction des divers déplacements et interventions, mais aussi, pour que l’écriture cinématographique soit juste. De même, les rapports entre documentaire et fiction étaient questionnés chaque jour.

L’équipe image était composée d’un assistant opérateur et d’un électro-cadreur américain, et le matériel électrique se résumait à deux Kino Flo 120 cm. Ma caméra était montée sur un travelling de fortune que je manipulais moi-même en cours de prise de vues pour respecter le plus longtemps possible les règles du champ contre-champ. Ainsi, nous avons pu profiter pleinement du fait que ces " non-acteurs " ne semblaient pas du tout intimidés par la caméra, pour nous positionner systématiquement au plus près des regards, plaçant le spectateur face aux émotions, détresses, certitudes et incertitudes des intervenants.
Les réglages du menu des caméras ont été définis en collaboration avec Patrick Lindenmaier (de Swiss Effects) pour obtenir une image légèrement granuleuse et contraste qui me semblait mettre en valeur les visages par rapport au fond en bois verni du tribunal de Cleveland. L’étalonnage, le shoot et la copie ont été faits chez Mikros-Arane.
Tout ce dispositif permet au spectateur de vivre un procès à une place inédite et très privilégiée. Ce film très original prouve, une fois de plus, que la puissance de la fiction dans le documentaire mène à une compréhension profonde du réel.

(Texte rédigé par Julien Hirsch, en collaboration avec Brigitte Barbier pour l’AFC)