Le directeur de la photographie Raphaël Vandenbussche parle de son travail sur "Les Filles désir" , de Prïncia Car

Par Raphaël Vandenbussche pour l’AFC

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Les Filles désir, de Prïncia Car, est sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes, après Eat the Night, de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, qui y était projeté en 2024. Son chef opérateur, Raphaël Vandenbussche, nous parle de son tournage.

Marseille en plein été. À 20 ans, Omar et sa bande, moniteurs de centre aéré et respectés du quartier, classent les filles en deux catégories : celles qu’on baise et celles qu’on épouse. Le retour de Carmen, amie d’enfance ex-prostituée, bouleverse et questionne leur équilibre, le rôle de chacun dans le groupe, leur rapport au sexe et à l’amour.

Le cœur de l’image, c’est la vitalité. L’idée est de toujours embrasser une palpitation, une couleur ou un souffle qui déborde et se cogne au cadre. Prïncia étant liée au monde du cirque et du théâtre de rue, j’ai compris qu’il nous fallait une caméra portée qui tourne toujours autour des corps, glissant des uns aux autres, et rarement se centre sur une seule tête. Dès lors, j’applaudis la finesse du montage de Flora Volpelière, qui a révélé et attisé les lignes entre les personnages. Toute l’équipe de tournage a joué le jeu d’un dispositif de tournage instinctif et rapide, sur 24 jours à la fin de l’été 2024, où je suis le seul non Marseillais ! Quel plaisir de vivre quelques mois à Marseille, la ville désir, ses habitants, sa liberté de parole, la chaleur de ses visages.

Le script a été écrit collectivement par Prïncia, Léna Mardi et les jeunes acteurs marseillais, au cours d’ateliers menés sur plusieurs années. Je remercie le groupe de m’avoir accueilli chaleureusement au cœur de leur énergie brûlante, de leur désir de cinéma, de leurs vies. Je souhaitais alors une image noble, riche, à la hauteur de la beauté du groupe. Ne pas abîmer le signal numérique, ne pas chercher des effets qui appauvrissent l’image, être généreux, lumineux, plein, coloré. Sans filtre.


La Venice 2 était alors une évidence, et les Cooke S6 une chance. TSF m’a généreusement proposé cette série anamorphique que je chéris, notamment le 32 mm qui me permettait de me coller aux acteurs, tout en les voyant "bigger-than-life". Et le Rialto permettait de filmer caméra-portée à l’intérieur d’un Kangoo, tout en roulant avec neuf personnes à bord !

Le dispositif m’a rappelé le tournage de Rodeo (Un Certain Regard, 2022) que j’avais adoré. Pour Les Filles désir, j’ai pu de surcroît obtenir 10 jours de caméra B - j’étais ravi. Il y a un réel compagnonnage avec l’opérateurrice de la caméra B, où nous partageons nos instincts, nos astuces de déplacement, nos joies, nos doutes et nos secrets avant et après les prises. Mathias Sahnoune et Anaïs Andreassian se sont relayées, avec autant de panache, discrétion et bienveillance. Chaque image captée par la caméra B m’est comme un cadeau : en pistant les images les plus justes et les angles les plus variés, on vise à élever le film le plus haut possible.

La lumière était travaillée à partir du réel, avec l’ambition de pousser les contrastes et les nuances de couleur. Nous souhaitions un soleil marseillais naturel, sans effet particulier. Je me souviens avec délice des repérages en scooter, de l’accueil des habitants du quartier Saint-Thys, du travail délicat, immense et inspiré de Lili-Jeanne Benente à la déco. Mais surtout la rencontre avec ma team à la face, celle qui n’a peur de rien avec qui on peut descendre des escaliers en marche arrière les yeux fermés, T2,3 sans répétition : Anne Aylies au point et Nordine Naïmi à la machinerie.


Le labo ayant été choisi après mon arrivée à Marseille, je n’ai pas pu réaliser de véritables essais. J’ai donc travaillé une LUT sur mon ordinateur, simple et généreuse en densités et saturations. L’étalonnage chez LUX avec Fabien Pascal a confirmé et affiné cette LUT, dans une salle à la projection impeccable.

C’est un premier film tendre et solaire, où l’on voit de jeunes hommes qui questionnent et déboulonnent leur regard sur les femmes. Ici se câlinent, hurlent et se consolent les blessures qui les guideront pour mieux voir en eux. À vous maintenant d’en voir les éclats, que nous avons filmés avec foi.

Hasta la vista, vive l’été, vive Marseille, à jamais les premiers, et rendez-vous en salles le 16 juillet !