Les Aventures de Philibert, capitaine puceau

Je ne pensais pas un jour avoir l’opportunité de tourner un film de cape et d’épée, qui plus est à la manière d’Hollywood des années Technicolor. Des noms légendaires… Michael Curtiz, Errol Flynn, George Sidney, Gene Kelly, Mel Ferrer, et tant d’autres, sans oublier Le Capitan et Jean Marais pour les références françaises. Tous ces films d’aventure qui ont marqué la mémoire de nos pères et initié sans l’ombre d’un doute ma propre cinéphilie.

Sylvain Fusée, le réalisateur, avait très scrupuleusement préparé son affaire et connaissait très bien son sujet. Pour ce projet, il tenait absolument à rendre hommage à tous ces films de cape et d’épée, respecter les conventions du genre et réutiliser leurs codes esthétiques et dramaturgiques. (Cf. interviews sur Allociné)

Refaire du Technicolor aujourd’hui pour un chef opérateur est une entreprise aussi excitante que périlleuse. Et, très vite, l’idée de faire un copier coller de l’éclairage de l’époque où les pellicules affichaient péniblement une sensibilité ASA à deux chiffres me parut un peu vaine. Ressortir les vieux projecteurs des placards, autant qu’ils s’y trouvent encore, ne m’offrait pas d’avantage de garantie sur le rendu final et me semblait, de plus, au-delà de nos moyens en termes d’infrastructure et de temps d’installation. Il me fallait être moins gourmand en Lumen qu’autrefois.
L’esprit et le pied de la lettre en somme, ou plutôt l’esprit de la courbe vers le pied de la courbe.

Je me suis donc orienté vers un rendu à la façon de… plutôt qu’une reproduction à l’identique, et cherché comment retrouver cette impression de Technicolor avec les contraintes d’une production d’aujourd’hui.
Sylvain Fusée revendiquait l’idée de pastiche. Il me précisa qu’au sens littéraire il s’agissait d’imiter le style d’un genre en en augmentant les défauts et les qualités avec humour. Je rajouterais même avec tendresse.

Nous nous sommes évidemment largement inspirés de nombreux films en Technicolor de cette époque sélectionnés par Sylvain : de Robin des bois à Scaramouche et son fantastique duel final, en passant par Les Trois Mousquetaires bien sûr, Ivanhoé… Et un peu moins moins connu : Les Aventures de Don Juan de Vincent Sherman (1949) – qui serait pour nous une de nos références en terme d’image et de rendu.
Après visionnage, un détail m’a frappé sur les fonds de décor du film. Les murs des pièces et arrière-plans en studio restaient pour la plupart dans des gammes de gris ou dans des tons neutres à peine patinés.

Etait-ce délibéré, ou un héritage persistant du noir et blanc ? Toujours est-il que c’était significatif et très efficace selon moi. J’avais trouvé là une première piste et par quel bout prendre ce retour au Technicolor et retrouver " l’esprit " du genre.
Nous avons donc pour les intérieurs studio travaillé sur cette idée de sobriété chromatique et mate sur les fonds (hormis les vitraux, et le sol que nous avons gardé brillant comme souvent à l’époque) et opté pour des touches colorées dans le mobilier. Tout cela au plus près et en toute confiance avec le chef décorateur Jean-Jacques Gernolle et son équipe.

Chambre geôle Inès, Nuit - Studio de Barrandov, Prague - Photo Shadzi Amir
Chambre geôle Inès, Nuit
Studio de Barrandov, Prague - Photo Shadzi Amir


Les acteurs devenaient en quelque sorte de véritables porteurs de couleurs du film à travers les magnifiques costumes de Charlotte David et c’est eux qui dans mon esprit devaient le plus souvent " exploser " à l’écran par différence et contraste.

Pour la lumière, a contrario de ce qui se pratiquait à l’époque, je me suis un peu écarté de la lumière directionnelle et ai éclairé les visages de manière plus douce, tout en gardant le principe du contre-jour systématique pour bien séparer les acteurs des fonds et retrouver du modelé. C’est aussi là que je suis allé cherché mon autre source de couleur. J’ai volontairement accentué les effets en les colorant selon la scène, plus ou moins justifiés par le soleil filtrant au travers de vitraux, la lune, les flammes des feux de camp ou des torchères.

Nous avons fait avec mon chef électro habituel, Patrick Contesse, divers essais de gélatines pour trouver celles qui me paraissaient les plus… Technicolor, ce qui j’en conviens est très subjectif.
Je voulais m’écarter des CTO et CTB usuels, aller vers des teintes plus marquées dans les ambres et les cyans pour rajouter cette dose de théâtralité, de fausseté onirique qui se dégagent à présent de ces films. Idem pour les découvertes : des toiles peintes parfois naïves, et toujours bien posées ; je voulais au maximum gommer tout effet réaliste de surexposition dans les fenêtres et éviter un rendu brûlé trop " moderne ".

Pour le Glamour Hollywoodien et inévitable de l’héroïne, la belle et hilarante Elodie Navarre, ses plans rapprochés ont été filtrés au Glimmer ou SFX plus un bas de notre confection selon la grosseur du plan, l’effet ouaté se rajoutant au maquillage très étudié de Michèle Constantinides et aux très belles perruques de Miguel Santos.

Pour les extérieurs de forêt très présents dans le film, après moult repérages dans de sombres futaies tchèques, Sylvain a opté pour un parc proche de Prague. Ce qui était la bonne idée au final. Il nous fallait un endroit moins sauvage, plus prémédité, un espace propret et improbable de manière à garder cet esprit de studio à l’image bien qu’ils s’agissent de décors naturels.
Nous avons agrémenté le cadre de fausses fleurs colorées idylliques et autres végétations plastifiées et le tour était joué. La météo pas toujours clémente m’a obligé à souvent ré-éclairer des sous-bois devenus un peu trop sombres et cela a été un mal pour un bien. Le rendu Studio recherché n’en était que plus probant.

Notre gamme d’objectifs allait du 25 au 100 mm grand maximum. Nous avons proscrit l’emploi de grands angles et téléobjectifs. Nous voulions absolument respecter la spécificité d’écriture assujettie aux focales disponibles à l’époque.
Nous avons tourné à deux caméras pour toutes les scènes de combat et c’est mon premier assistant Chris Abomnes qui switchait et prenait la caméra B. Il s’avéra aussi bon cadreur que pointeur ce qui m’aida doublement.

Les caméras trichromes d’antan conçues par Herbert Kalmus – le pape du Technicolor –, avoisinaient parfois avec leur blimp et leur système tri-pack la taille d’un réfrigérateur, ce qu’on peut ressentir sur certains mouvements d’appareil. Nous n’avions évidemment pas cette contrainte avec l’Arricam mais nous nous sommes tout de même obligés à utiliser des têtes manivelles sur quasi tous les plans. Je suis ravi du résultat.
Un mélange de fluidité et d’inertie que nous avons provoqué parfois à dessein dans des panoramiques. Tout cela participait dans le détail au rendu final.

La cerise sur le gâteau fut l’étalonnage numérique mené par Marjolaine Mispelaere qui a étalonné beaucoup de mes films. Son travail de retouche fût très précis parfois proche de la peinture (sur toile) afin de révéler au mieux les diverses couleurs en présence, tant sur les costumes, les paysages ou les visages et d’équilibrer finement leur niveau de séparation.
Il s’agissait de trouver le bon dosage de saturation afin de ne pas voir les couleurs baver ou virer aux tons fluos et basculer dans un rendu électronique. Je lui ai aussi demandé d’éviter au maximum toute dominante générale, tout effet de patine (un jus coloré même élégant avait tendance à altérer la pureté originelle des couleurs et " tuait " un peu l’effet souhaité) tout en gardant néanmoins cette pointe de Magenta dans les carnations, ce à quoi tenait beaucoup Sylvain Fusée et qui nous semblait caractéristique de l’époque.
Bref, un étalonnage Vintage comme on en fait plus trop, loin des tendances de désaturation habituelles, mais sur le fil du rasoir dont elle s’est sortie avec beaucoup de raffinement et de précision. Qu’elle en soit une fois de plus remerciée.

Faire ce film de cape et d’épée à la manière du début des années Technicolor, fût un réel challenge, parfois difficile mais toujours excitant.
Un film d’époque certes, mais dont la réalité historique était celle de sa représentation cinématographique. Et plus précisément ce versant romantique et épique, tout ce glamour kitsch propre à une certaine vision de l’Histoire de France ou de sa littérature romanesque à travers le miroir enjoliveur d’Hollywood. Le même genre de miroir où se mirait la marâtre de Blanche-Neige dans le premier long métrage Disney tourné en… Technicolor.

Pour ces Aventures de Philibert, la cohérence de la comédie et de son univers décalé, farouchement ancré dans l’esthétique du genre, passait par la mise en abyme de toutes ces références visuelles. Sans évidemment oublier l’engagement total et sincère des acteurs : Elodie Navarre, la belle aux liaisons dangereuses, Manu Payet, parfait en valet couard, Alexandre Astier en pur méchant noir et cynique, et notre héros Philibert, Jérémie Renier bluffant aussi bien dans son jeu décalé et illuminé que dans les combats à l’épée.
Ce scénario, écrit par les auteurs d’OSS 117, à l’humour loufoque et très gradué sur l’échelle des degrés ainsi que le soin constant apporté à la direction artistique par Sylvain Fusée ont rendu ce projet tout à fait unique.
A l’heure où nous basculons dans l’ère de la captation numérique, ce retour aux origines argentiques de la couleur fût pour moi en quelque sorte comme un hommage au paradis perdu et au pêché de gourmandise cinématographique. Celui-là même qui enfant avait dû inconsciemment me pousser vers ce métier.

Produit par Mandarin.
Tourné en extérieur en Tchéquie et France (Bourgogne, Bretagne) et en intérieur aux Studios Barrandov de Prague.
Format 1,85:1 (là où idéalement le 1,33 aurait été de mise, mais distribution oblige…)

Equipe image
Chef électricien : Patrick Contesse
1er assistant et cadreur caméra B : Christian Abomnes
Le reste de l’équipe image était tchèque, une très bonne équipe à la fois compétente et impliquée.

PS Les images qui illustrent cet article sont quelques-unes des photos test prises par Régis Blondeau durant les répétitions des Aventures de Philibert (Canon 5D réglé sur 800 ISO, F2,8).

Portfolio

Équipe

Chef électricien : Patrick Contesse
1er assistant et cadreur caméra B : Christian Abomnes

Technique

Pellicule : Kodak Vision3 5213 et 5219
Matériel caméra : TSF Caméra, Arricam 3perf
Objectifs : Master Prime et zoom Angénieux Optimo
Matériel électrique pris en Tchéquie
Laboratoires : Eclair et laboratoire de Barrandov pour le développement négatif