Un monde violent
Paru le Contre-Champ AFC n°362
Une nuit, en pleine campagne, deux frères braquent un camion de smartphones destinés à l’entrepôt où ils travaillent comme magasiniers. Sam, le cadet, y voit l’occasion d’échapper à une vie déjà écrite, de partir vite et loin. Paul, son aîné, est moins sûr de vouloir tout plaquer depuis qu’il a noué des sentiments pour Suzanne, leur complice. Au matin, le routier est retrouvé mort. Cet événement va chambouler leurs plans et les plonger dans une spirale de violence.

Un monde violent est un film noir, à dimension sociale, qui se déroule en milieu rural. Dès l’écriture, Maxime m’a fait part de son désir d’inscrire son récit dans une mise en scène qu’il qualifiait de "baroque". En cela, il la voulait expressive et ciselé, une mise en scène où les plans et les mouvements de caméra viendraient en permanence faire écho aux émotions que traversent ses personnages. Nous avons décidé d’associer, dès les premières discussions de découpage, des plans très chorégraphiés à la dolly à d’autres plus instinctifs en caméra épaule. Par exemple, la précision du plan-séquence d’ouverture vient presque en opposition totale au chaos de la course en forêt finale. La fixité de certaines séquences nous permettait de souligner la fébrilité d’autres, soutenues par une présence accrue du zoom qu’il affectionne particulièrement. C’est en cela que nous souhaitions le film baroque.
Il nous fallait trouver l’identité visuelle par la lumière.
Très tôt nous avons souhaité assumer des directions prononcées à l’image, afin de nous éloigner d’une photographie réaliste.
Nous avons revu beaucoup de films du Nouvel Hollywood mais aussi des polars français des années 1970, de Melville à Corneau. Bien en amont du tournage, j’ai constitué un moodboard séquence par séquence afin d’y répertorier nos envie visuelles mais aussi nos désirs de cadres.
Maxime voulait que son film incarne la multiplicité de ses goûts de cinéma.

La lumière
L’action du film se déroule sur trois nuits et trois jours, on commence dans l’obscurité avec la séquence de braquage pour terminer au petit matin en forêt, les rayons rasant du soleil comme une résurrection. Excepté pour cette séquence finale, le soleil semble ne jamais vouloir se lever, plongeant les personnages dans un effarement permanent. La météo du mois de janvier en Creuse nous a grandement aidé à accompagner ce mouvement. Maxime partage mon goût pour les contrastes prononcés et l’obscurité. Nous avons beaucoup parlé en préparation de la place que prendrait le noir à l’image et sa profondeur. J’ai pensé le début du film en partant de l’absence de lumière. Les personnages sont vêtus de noir, cagoulés, leurs visages ne devaient se révéler que par fragments à mesure que la nuit avançait. Le noir est alors dense et charbonneux, ponctués par les faisceaux des phares.
De jour, il continue d’occuper une grande place à l’image mais je le souhaitais plus doux et texturé afin d’accompagner cette ambiance hivernale, cotonneuse. J’ai pas mal utilisé de fumée et de filtres en ce sens.

D’un point de vue technique, chaque extérieur nuit aura été un véritable défi ! Ma liste lumière était très réduite, il a fallu faire preuve de beaucoup d’imagination pour éclairer des décors aussi grands qu’une aire d’autoroute.
Une image vivante
Nous souhaitions tourner le film en Super 16 mm mais le (très) petit budget du film ne rendait pas cette option réaliste. Nous avons donc fait de nombreux allers-retours entre essais filmés et salle d’étalonnage pour trouver la texture et la tonalité de nos images. Dans un premier temps nous avons tourné des plans en Super 16 destinés à inspirer le numérique. Avec Gadiel Bendelac à l’étalonnage nous avons fabriqué plusieurs LUTs qui restituaient la vibration des couleurs, notamment des rouges, la grain si caractéristique et la teinte des carnations. Mais au fil de mes recherches j’ai cherché à m’affranchir du Super 16 pour proposer une image propre au film. Les allers-retours entre essais filmés maquillage, costumes, comédiens nous permettaient d’affiner un peu plus la proposition à chaque fois. Je suis partie en tournage avec 3 LUTs, une jour, une nuit et une LUT dite de transition, fabriquée à partir de rushes tournés en crépuscule. J’ai aimé cette idée d’avoir deux LUTs très contrôlées, conçues dans des conditions que je maîtrisais et que je pouvais reproduire en tournage mais aussi d’en avoir une plus libre qui ne suivait pas forcément le sens de ma recherche visuelle, qui pourrait me surprendre.
Maxime insistait beaucoup sur la part organique de l’esthétique. Gaspard Claus, le compositeur, a tissé de sublimes partitions au violoncelle où la texture des cordes est très incarnée. A l’image, cela s’est traduit par l’ajout de grain.
Les optiques
Un monde violent est conçu comme une tragédie avec une part de romanesque très assumée qui nous a poussés vers le CinémaScope. J’ai choisi de partir avec une série anamorphique Technovision Zeiss dont j’aime la douceur, les aberrations et les flares. Ses imperfections répondaient en tout point à mes envies visuelles pour ce film.
J’ai complété la série avec un 180 mm et un 250 mm Elite anamorphiques
L’une de nos obsessions en découpage a été la question du rythme. Nous savions que le film serait court et nous l’avions pensé comme une fuite en avant, une course haletante. La longue focale s’est très vite imposée en ce sens. Je n’ai pas hésité à utiliser des doubleurs pour tourner certains plans au 500 ou au 600 mm, notamment lors de la course en forêt.

Partageant le goût de Maxime pour les zooms, j’ai complété mon kit de tournage avec un Angénieux Optimo24-290 mm, pour les longs et lents zooms qui ponctuent le récit et un 45-120 mm à l’épaule ou sur Stead, pour une approche plus nerveuse.
Le côté baroque de notre mise en scène s’incarnant aussi dans le choix des optiques et me laissant la liberté d’alterner entre anamorphique et sphérique au sein d’une même séquence. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler autour de cette matière visuelle hétérogène.
La couleur
Au cours de la préparation, nous avons revu une trentaine de films et une constance dans notre désir d’image était que nous voulions faire un film noir très coloré. Nous tenions vraiment à nous éloigner de cette esthétique de la désaturation, assez codifiée dans le genre. Les photographies d’Harry Gruyaert ont été très présentes dans nos discussions en ce sens qu’elles allient des plages de noirs profonds à des couleurs très expressives.

C’est une très belle collaboration avec Elisa Ingrassia aux costumes et Lorraine Gaulier aux décors qui nous a permis de tenir la palette du film, comme une partition visuelle. Le rouge de la veste de Suzanne répond aux costumes de Paul puis par effet de ricochet vient éclairer le visage de Sam. Le bleu métallique du braquage on le retrouve par touches dans les costumes et dans la lumière de la boîte de nuit. Les tons ocres de l’entrepôt annoncent ceux de la course en forêt finale. Autant de correspondances pensées comme des résonances, des ponctuations du récit.
Film d’action
Nos 29 jours de tournages devaient accueillir un braquage, une fusillade, un voiture qui brûle, plusieurs courses-poursuites et j’en passe, autant de défis auxquels on a peu l’habitude de se confronter dans le cinéma d’auteur ! Ce sont par ailleurs des séquences assez chronophages. Nous avons effectué une très longue préparation avec Maxime, d’autant que le tournage a été décalé à deux reprises.
Quatre semaines de découpage sur table, puis des repérages assez poussés et une autre grosse session de travail autour du découpage sur les décors du film nous ont permis d’être extrêmement précis à l’abord des scènes d’action. Sur les séquences de jeu nous nous sommes laissés la liberté de modifier le découpage en cours de tournage mais c’était d’autant plus facile que nous avions parfaitement le film en tête.
C’était très exaltant de passer, d’un jour sur l’autre, à autant de variété de situations et de s’y frotter avec nos petits moyens, on retrouvait un sens très artisanal du cinéma.
Ce film a été possible grâce à l’implication sans faille d’une équipe qui accompagne, pour partie, Maxime depuis ses courts métrages.
Je tiens aussi à remercier Panavision et Micro Climat Studios, prestataires qui m’accompagnent depuis mes débuts et qui se sont particulièrement engagés sur ce projet.

- Bande-annonce officielle :
Équipe
Premier assistant opérateur et opérateur Steadicam : Matthieu FabbriSeconde assistante opératrice : Anna Sauvage
Chef électricien : Corentin Lemetayer Le Brize
Chef machiniste : Rémi Bougès
Etalonnage : Gadiel Bendelac
Technique
Matériel caméra : Panavision (Arri Alexa Mini, série anamorphique Zeiss Technovision et zooms Angénieux Optimo 24-290 mm + 45-120 mm)Matériels lumière et machinerie : Panalux et Panagrip
Laboratoire : Micro Climat