Entretien avec le directeur de la photographie Laurent Brunet, AFC, à propos de son travail sur "After the War", d’Annarita Zambrano

"Après la guerre"

par Laurent Brunet

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Pour son premier long métrage, la réalisatrice italienne Annarita Zambrano a choisi de porter à l’écran une histoire d’exil entre un père et sa fille dans le contexte politique des années 1980, post Brigades Rouges. Une histoire qui se déroule entre l’Italie et le sud-ouest de la France, mise en images par Laurent Brunet, AFC, sélectionné en compétition officielle dans la catégorie Un certain regard (FR)

Bologne, 2002. Le refus de la loi travail explose dans les universités. L’assassinat d’un juge ouvre des vieilles blessures politiques entre l’Italie et la France. Marco, ex-militant de gauche, condamné pour meurtre et réfugié en France depuis 20 ans grâce à la Doctrine Mitterrand, est soupçonné d’avoir commandité l’attentat. Le gouvernement italien demande son extradition. Obligé de prendre la fuite avec Viola, sa fille de 15 ans, sa vie bascule à tout jamais, ainsi que celle de sa famille en Italie qui se retrouve à payer pour ses fautes passées.

Comment définiriez-vous le film ?

Laurent Brunet : Pour moi, c’est un film politique et intime. En arrivant sur le projet, un peu plus d’un mois avant le tournage, j’ai assisté à un travail de réécriture majeur de la part de la réalisatrice Annarita qui a dû réduire pas mal le scénario original, sans doute un peu trop ambitieux en relation avec le budget final de tournage. Au contraire de dénaturer le film, cette décision forcée a, pour moi, fait entrer le projet encore plus dans l’intimité des personnages, le dirigeant vers une épure à la fois visuelle et narrative.
Le film s’est fait très simplement, entre la France et l’Italie sur 28 jours de tournage. Un tournage dans le cadre de l’annexe 3, avec une toute petite équipe image (un assistant, un machiniste, un électricien), à l’énergie et en essayant pour ma part de donner un maximum de liberté à la mise en scène.

Avez-vous traité les deux parties différemment ?

L.B : La partie italienne repose plus sur les les intérieurs, filmés dans la région de Bologne. Bien sûr, un travail important avec la déco et sur le choix de la maison. Un décor très particulier avec une porte d’entrée et un couloir immense donnant sur une fenêtre. Pas facile à éclairer, mais c’était le décor qui convenait le mieux au scénario. Quand on découvre un décor en tant qu’opérateur on a parfois envie de tout changer ! il faut savoir se restreindre, et s’adapter.
Sur la partie française c’est la nature des environs de Contis dans les Landes qui a beaucoup été exploitée, avec un décor de cabane dans les bois comme lieu de planque pour les personnages. Le dosage, qui n’a pas été facile à trouver sur le tournage, c’est le rythme et la proportion d’allers-retours narratifs entre les deux parties du film... C’était aussi un des enjeux de la réécriture, et qui finalement a beaucoup été façonné au montage.

En ce qui concerne l’image, je n’aime pas trop mettre d’intellectualisation dans mon travail. Rester assez pragmatique, et m’adapter aux conditions de tournage, aux contraintes pour essayer d’en tirer une ligne directrice, un style... Alors sur ce film, le soleil a forcément beaucoup d’importance (tournage à l’été 2016), je n’ai pas hésité à laisser exploser certains contre-jours, à ne pas tenter de contenir l’image. C’est un film de contraste, sur lequel je n’ai pas hésité à pousser la caméra dans ses retranchements.

Comment avez-vous tourné ?

LB : C’était, selon moi, vraiment un film à faire à l’épaule. Utiliser par exemple un dispositif de gyrostabilisation aurait plus ou moins abouti au même rendu que le Steadicam. Niveau caméra, ça faisait longtemps que je n’avais pas tourné en Arri Alexa. Depuis l’arrivée de la Mini, ça m’a redonné l’envie de partir avec. Et je dois dire que c’était la caméra pour ce film, un peu comme quand à l’époque on choisissait une pellicule !
Outre sa compacité pertinente pour toutes les séquences intérieures voiture, sa capacité d’encaissement des contrastes est réelle. Exposée à la cellule entre 3 200 et 6 400 ISO, je trouve cette Mini plus sensible que les autres Alexas. Ainsi j’ai pu aller jusqu’à des niveaux lumineux extrêmement bas en nuit sans presque éclairer, et achever certaines séquences, comme celle tournée au courant du huchet, carrément entre crépuscule et nuit...

En outre, se placer à la limite de la structure du capteur génère une certaine matière dans l’image qui rompt avec le côté trop clean de l’image numérique un peu trop bien posée. Pour mon choix d’optiques je suis parti en Cooke S3. Des objectifs au rendu sublime, très arrondis, qui flarent à mort ! Je savais que je me retrouverais beaucoup en contre-jour sur ce film, je n’avais pas envie d’aller contre ses défauts. Au contraire, s’appuyer dessus, trouver l’angle et ressentir cette espèce de vibration à l’image. Par contre, il faut reconnaître que ce sont des optiques très difficiles à pointer, et que l’assistant opérateur doit être très bon.

En quel mode avez-vous utilisé l’Alexa Mini ?

LB : Le choix du Prores c’était par défaut, à cause du budget. C’est vrai que j’aurais préféré tourner en RAW pour la postproduction. Le contrôle, lors de la débayerisation en amont de l’étalonnage, me semble un aspect important, et la plus grande latitude par la suite. En ce qui concerne les rushes, on les a fabriqués sur place à partir du ProRes filmé en mode Log en utilisant une Lut assez basique, que je corrigeais en fonction des scènes. C’est très important pour moi, en numérique, de livrer des éléments au montage assez proche de ce que j’imagine, de manière à ce qu’on ne rentre pas dans une mauvaise habitude en travaillant sur des images trop éloignées de l’intention. L’étalonnage a pris seulement huit jours à Genève, chez Free Studio, en compagnie d’Alexandra Poquet.

Une séquence plus difficile que les autres ?

LB : La séquence de l’accident de voiture de nuit au milieu de la forêt m’a causé quelques angoisses. À l’origine, on voulait absolument tout éclairer uniquement à l’aide des phares du véhicule, un peu comme dans certaines scènes du cinéma de Nury Bilge Ceylan.
Mais le découpage et l’action rendaient la situation presque impossible. Du coup, j’ai dû me rabattre sur une solution d’éclairage "artificielle", en installant deux boules chinoises tungstène de 2 kW en hauteur sur des arbres pour donner un niveau d’ambiance nocturne. Un petit groupe électrogène nous a suffi pour faire cette séquence.

Pas de LEDs ?

LB : J’utilise de plus en plus de LEDs, mais sur cette scène de forêt avec phares de voiture je n’avais pas assez de puissance lumineuse pour me passer de l’éclairage tungstène. Sur le reste du film, en revanche, j’ai utilisé beaucoup de lumière sur batterie notamment des Smartlight SL1, ou des Aladins ce qui me permet le plus possible de me passer de câbles et d’aller très vite.
Cependant, vu la sensibilité extraordinaire des caméras de cinéma numérique, on se retrouve souvent avec trop de lumière. Un exemple, c’est la séquence de plage de nuit, quand le personnage de Viola cherche son sac, où tout a été éclairé avec la lampe de poche LED de mon assistant. Un truc improbable en forme de balles de tennis, simplement accroché à la face sur la caméra, qui permet de discerner la comédienne dans l’obscurité.
Même une simple plaque Aladin était beaucoup trop forte en intensité et donnait l’impression de la présence d’un projecteur sur cette séquence. Je suis assez content du rendu de cette séquence, avec ces plans à l’épaule sur fond noir où le mouvement de la comédienne rentre en vibration avec celui de la caméra dans un effet un peu irréel...

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Dans le portfolio ci-dessous, quelques photogrammes du film.