Festival de Cannes 2017
Renato Berta, AFC, parle de son travail sur "L’Amant d’un jour", de Philippe Garrel
Après une rupture, une jeune femme de 20 ans rentre chez son père. Elle y découvre ce dernier en couple avec une femme du même âge qu’elle...
Avec Eric Caravaca, Esther Garrel et Louise Chevillotte.
Faire du cinéma, une question d’équilibre
Philippe Garrel est un réalisateur qui sait faire du cinéma de manière intelligente. Il fabrique un film avec la mentalité d’un vrai producteur. Qu’est ce qu’un vrai producteur ? N’est-ce-pas une personne qui, au lieu de se poser la question "comment vais-je trouver l’argent ?", se demande "comment vais-je le dépenser ?"
Aujourd’hui les producteurs s’intéressent seulement au volume financier et à ce qu’il reste… ou pas. Un vrai producteur connait parfaitement la machine de fabrication, il est sur le terrain. Faire du cinéma, c’est trouver un équilibre entre ce que l’on veut dire et comment le dire ; entre les moyens, le temps, l’argent. Philippe sait très bien organiser la distribution des énergies à destination du film, comme le temps par exemple…
La qualité numéro un d’un cinéaste…
Philippe a tourné son film en 21 jours. Le nombre de scènes était très précis et nous avons tourné dans l’ordre du scénario, ce qui lui permettait de contrôler l’évolution des personnages, de rectifier leur jeu en cours de route. Nous ne tournions qu’une seule prise pour chaque plan. Il a beaucoup préparé en amont avec les comédiens et nous faisions pas mal de répétitions avant de tourner. Cela peut être considéré comme une façon originale de faire un film mais pour moi c’est une manière logique et pertinente de fabrication. Et c’est la qualité numéro 1 de ce cinéaste !
Accord, désaccord
Philippe Garrel se méfie du discours strictement technique et il dit d’abord « non ». Prenons l’exemple des premiers plans que nous avons tournés. Le film commence par une jeune femme qui vient de quitter son mec et qui va voir son père. Elle est devant la porte de l’appartement de son père et elle pleure. C’est le premier jour de tournage, en nuit, nous avons plusieurs décors à éclairer. Philippe veut faire un panoramique pour l’un des plans mais cela implique de voir quatre rues…
Négociation
… Je lui dis que ce n’est pas le même temps d’éclairage que si on fait un travelling arrière par exemple, où l’on est dans un seul axe. Il se méfie. Je propose de faire un test avec la Double X, notre pellicule de tournage. Je tourne ce panoramique sans éclairage et lui montre en projection. Il est d’accord, c’est trop sombre…
Négociation et philosophie, principes numéro 1
Il faut trouver une solution, et cette solution est plutôt dans le récit, en accord avec des principes de point de vue, de lumière. C’est toute une philosophie ! Philippe Garrel a des principes dont il ne veut pas discuter. Par exemple, nous avons tourné pas mal de travellings avec des personnages qui marchent dans la rue. Et bien il ne veut pas mettre d’éclairage à 45° par rapport à eux parce qu’une fois il a fait un plan comme ça et que la lumière avait dérangé les comédiens. Il a fallu négocier.
Négociation et religion, principes n° 2
Lors de l’étalonnage, il voulait que ce soit encore plus contrasté. Mais on n’avait plus rien du pied de courbe de la pellicule dans les noirs, ça devenait du noir numérique. Quand je lui ai fait cette remarque, il a un peu temporisé son désir du grand contraste. Je savais que cet argument avait du poids car un autre très grand principe de Philippe est qu’il ne veut pas entendre parler du numérique, c’est presque une dimension religieuse pour lui !
Principe n° 3...
Mais il a encore un principe… Il ne veut pas d’HMI ! J’ai éclairé les nuits avec des quartz et pour les réverbères des lampes à mercure – ce qui n’est guère mieux que les HMI ! Mais pour le noir-et-blanc, ça passe... Nous avons fait une installation au plafond dans la cuisine où nous sommes revenus plusieurs fois pendant le tournage. J’ai utilisé pas mal de LEDs (SL1 de DMG Lumière) et nous pouvions tourner librement puisqu’il n’y avait rien au sol.
Pas de consensus à tout prix
Avec Philippe, je me suis bien amusé, même si souvent nous n’étions pas d’accord. Le fait de ne pas être du même avis n’est pas négatif, au contraire. Le consensus à tout prix m’énerve un peu.
Finalement, je suis assez d’accord avec lui sur le fait d’avoir des principes. Avec les Straub, c’est comme ça, il y a des principes. Et à l’intérieur des principes, on trouve une liberté formidable.
La cohérence de la photographie
On a tourné dans des décors que je détestais, comme par exemple un café très bas de plafond. On sait que ce genre de décor est une vraie galère. Mais pour ce type de cinéma, il faut assumer de prendre des risques, et faire que ce genre de choses ne soit pas un défaut mais une qualité. De toute façon, ce n’est pas avec quatre camions de matériel que l’on fait de la bonne photographie. L’important est de trouver un équilibre lié à la mise en scène et que la photographie soit cohérente.
Le contraste, la clé de voute de l’image
C’est difficile de gérer les contrastes en noir-et-blanc. Au tournage, j’ai gardé l’espace des comédiens pas trop contrasté. Je préfère contraster après coup. A l’étalonnage, on trouve une valeur pour tout le film, celle qui se rapproche le plus de ce que l’on souhaite. Après on corrige plan par plan.
J’aime bien cette séquence de danse avec ce couple qui se retrouve dans un bal, où l’on n’est pas du tout dans une continuité photographique.
Philippe ne voulait pas que ce soit réaliste. Il a créé une chorégraphie très étrange et j’ai donc pris des options où la lumière passe de la sous-exposition à la surexposition, de manière radicale. J’ai utilisé des PARs, très proches d’eux, là où les personnages se croisent. J’avais des écarts de diaph monstrueux, que je n’ai même pas mesurés ! C’était vraiment intéressant de filmer de façon incohérente par rapport au reste du film.
(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)